"520PF Plongée dans l'univers étrange de l'hospitalisation"

5 - les objets indispensables

Les objets indispensables

 

         Dans cette vie particulière, les temps de la vie sont contingentés. Ils sont aussi, et surtout, dépendants de personnes mais aussi d'objets. En voici quelques uns qui se révèlent vite incontournables.

 

La sonnette

 

         « Si vous avez besoin, n'hésitez pas à sonner ! » Tous les jours, on te le dit. Mais toi, tu hésites toujours un peu avant de déranger le professionnel. Tu as des scrupules. Dans ce service hospitalier, il y a probablement des gens qui sont dans des situations bien pires que la tienne. Tu les imagines bien prioritaires… Alors, tu ne sonnes pas. Tu tentes d'abord de te débrouiller tout seul. Même si c'est parfois difficile. Et puis, tu coinces, tu atteins tes limites… Alors tu te dis : « Bah ! Il va bien passer quelqu'un, je lui en parlerai à ce moment là… » Mais le temps passe, et il est le seul… Personne ! Alors, cette fois, en désespoir de cause, tu te dis que c'est le moment : « Allez ! Je sonne ! » Et ben, parfois, c'est pareil. Personne non plus. Et tu repenses à l'excellent sketche des Inconnus dans lequel Pascal Légitimus incarnait une bonne grosse aide-soignante martiniquaise expliquant le fonctionnement du tableau des appels mais qui, jamais, ne se levait  pour aller dans la chambre concernée. Et le tableau finissait par être tout illuminé de ces appels non entendus.

         Mais soyons honnête, souvent çà ne dure pas. Pas trop.

 « Vous avez sonné ? » et là Bigard répondrait « Non, non ! Je chantais la traviata ! ». Mais tu es poli, toi, et tu réponds que oui, que tu as sonné et tu dis pourquoi.

         Tu demandes quoi ? Avec la sonnette, tu peux demander beaucoup de choses. De l'aide, des objets divers et variés, tout un tas de trucs sans importance aux yeux du commun des mortels, mais qui, dans ta situation, prennent soudainement une importance capitale.

         Un verre, de l'eau, de l'aide pour se relever, pour enlever (ou enfiler) une chaussette, … Tout est possible. Un jour, j'ai sonné parce que mes différentes, nombreuses (et épuisantes) tentatives de recouvrement de mes orteils glacés par le drap étaient restées infructueuses…On est peu de choses, mon bon monsieur !

         Un urinal, un bassin, un mouchoir, etc… Mais la sonnette, c'est aussi pour dire « J'ai mal ! », « Cà ne va pas ! » ou encore « C'est normal, çà ? ». C'est un peu comme les urgences en miniature avec un côté fourre-tout. C'est parfois comme si on composait le 18 pour une (toute petite) fuite d'eau. Alors, avec Gilles, mon nouveau voisin, on s'était dit qu'il faudrait inventer un nouveau système de sonnette. Un système qui tiendrait compte du degré d'urgence. Aujourd'hui, que tu aies très mal ou que tu doives juste faire pipi, tu sonnes pareil. Alors on avait imaginé une couleur rouge pour les vraies urgences, genre vitales, et une couleur orange pour ce qui peut attendre (un peu)… On pourrait aussi garder du vert pur quand tout va bien, c'est vrai quoi ! Un peu d'optimisme quand même !

         Un jour, la perfusion qui distillait la santé dans mon bras droit  se décolle, et se retourne et la douleur se réveille. Aïe ! Tant pis, cette fois, je sonne ! Dring (silencieux) ! Mais ce jour-là, le service regorgeait de malades, blessés, opérés de partout et les soignants couraient d'une chambre à l'autre… Alors j'attends, que puis-je faire d'autre ? Le temps passe, mais une fois de plus, que lui…Aïe ! Cà commence à faire mal ! Au bout de trois quarts d'heure, la porte s'ouvre et un aide soignant entre. « Vous avez sonné ? » Je lui explique la raison de mon appel, et il me dis : « Ne touchez à rien, ne bougez pas, je reviens ! » et il s'en va. Pour ce qui est de ne pas bouger, je n'ai pas de difficulté, c'est même ce que je fais le mieux en ce moment ! Je me demande pourquoi il n'a pas « clampé » la « perf », c'est du langage de pro. C'est-à-dire pourquoi n'avoir pas fermé le robinet pour arrêter la descente du produit. Mais bon, de nous deux, le pro, c'est lui. Enfin, je crois…

« Ne touchez à rien, ne bougez pas, je reviens ! » Mais il ne revient pas…Une heure s'est écoulée, et toujours rien. Je ne peux même plus sonner, puisqu'il n'a pas réarmé le dispositif…Attendre, coincé, seul ce jour-là dans la chambre, livré à la merci de ce soignant. Alors je gamberge. Je me dis que, puisque je ne peux pas sonner, que mes cris dépasseront difficilement la porte fermée de la chambre, que je peux téléphoner à l'Hôpital Salenvrac, demander le service et de là appeler au secours, signé 520 P. Mais enfin, la porte s'ouvre et apparaît une infirmière qui me demande : « Vous avez sonné ? » Euh ! Oui, il y a longtemps… Elle me libèrera très vite, elle lâchera cependant : « Ben, pourquoi vous n'avez pas clampé ? » Ben oui, tiens, pourquoi ? Trop obéissant, trop confiant dans le personnel ? Ah bon, je ne devrais pas ? Tiens…

         Il me restera une boule dure sur le bras droit, trace du produit non absorbé par la veine mais par mon bras…Ah ! Les sonnettes !

 

Le lit

 

         Pourquoi n'ai-je d'ailleurs pas commencé par là ? Ce petit 2m² qui vous sert de lit, de salle de bains, de salle à manger, de toilettes, de salon de réception…Tes vingt quatre heures quotidiennes se passent là. Quasi immobile. Pire encore, ta tête, porteuse d'organes des sens est située à une extrémité de ton corps (quelle découverte !) et, du coup, ton champ de vision est réduit à la position de ta tête. J'ai plusieurs fois pensé (la morphine, sans doute…) que si mes pieds voyaient, ils pourraient me raconter ce qui se passe dans le couloir quand la porte est ouverte. Pour moi, capitaine abandonné d'un vaisseau immobile, je me contentais d'essayer d'interpréter les différents bruits perçus.

         Aujourd'hui les lits sont électriques ou plutôt motorisés. Lit électrique, çà rappelle trop la chaise électrique…C'est trop ! Une sorte de télécommande, un boîtier comme celui des jouets téléguidés de mon enfance, permet de remonter ou d'abaisser le lit tout entier, ou dans un seul mouvement de redresser le dossier et plier les jambes…Quelle belle invention ! Elle permet au malade de gérer lui-même sa position, ce qui accroît le confort. Le soignant aime bien lui aussi, il remonte le lit au maximum pour remettre les draps, ou pour des soins, cela lui évite de se baisser. Il préserve ainsi son dos de soignant. Parfois, en repartant, il oublie de remettre la manette dans ton champ d'action, et tu marnes pendant un bon bout de temps à essayer d'allonger ton bras des quelques centimètres qui te manquent pour t'en saisir…

         Un bon lit médicalisé comporte deux barrières rabattables à gauche et à droite. Elles servent de ligne de démarcation de ton petit territoire : 2m² tout rond (encore que rond…). Outil de sécurité, elles préservent, minuscule muraille de Chine, l'intérieur de l'extérieur et aussi l'extérieur de l'intérieur. Avec çà, tu peux avoir les rêves les plus insensés qui soient, tu ne tomberas pas du lit ! Et un soir, un aide-soignant à qui je demandais de remonter mes barrières me répondit sur un ton sarcastique : « Oh ! Il a peur de tomber, le monsieur ? » Un rien narquois… Non, je n'avais pas peur de tomber, mais je craignais simplement que Chif, au hasard d'une de ses errances nocturnes ne confonde ma jambe blessée avec une barrière de lit, à laquelle il s'accrochait régulièrement : La barrière est une protection.

         Le lit comporte aussi une potence. Ce tube de métal incurvé part de derrière ta tête, la quelque part, et vient s'ébattre dans l'air à un mètre au dessus de ton royaume. Une sangle est accrochée au bout et supporte une poignée, façon trapèze. Dans un premier temps, on la croise du regard, genre qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire de çà ? Et finalement, le soignant te dit un jour : « Allez Monsieur ! Vous allez vous remonter avec la potence ! » Et hop ! Tu t'agrippes à ce machin et tu te remontes toi-même avec une facilité déconcertante.

Tout rapprochement avec le seigneur Tarzan de la jungle étant un peu trop fort, on se sent quand même pousser de petites ailes. On peut alors se redresser pour s'habiller, se laver, s'essuyer… Mais aussi

aider lors de la réfection du lit. Une grande victoire cette potence ! Et pour une fois qu'une potence facilite la vie !

         Adjointe au lit est la tablette. Il ne s'agit pas d'une tablette de chocolat, mais bien d'une petite table. Dissymétrique avec ses deux pieds du même côté, un peu comme les yeux de la sole, elle représente une petite excroissance territoriale du lit, c'est un peu son Monaco ou son Andorre. De même que le lit, elle est multi usages. Elle est en effet tour à tour table de salon, de salle à manger, lavabo, bureau, etc…

 

        

         Réglable en hauteur, il lui arrive parfois donc d'être déréglée… Un jour, une soignante l'avait reculée (car elle est aussi montée sur roulettes, la table, pas la soignante !) et abaissée. On y avait, gentiment déposé mon petit déjeuner, qui se trouvait alors me poser un double problème se résumant ainsi : trop loin et trop bas ! Heureusement, je ne suis pas seul, mes maîtres théoriques me guident de leurs ingéniosités, et m'aident à trouver des solutions…Trop loin pour ma main, mais pas pour mon pied droit (qui va très bien merci !). J'extirpe donc ma jambe hors du lit et les orteils en extension, j'attrape le montant vertical de la table, je m'y agrippe et je tire. Doucement, les roulettes font leur office et approchent la table du lit. Ma main droite peut alors s'en saisir et la rapprocher dans le bon sens. Ouf ! 1 à 0. Mais elle reste encore trop basse. Alors, j'empoigne la manette du lit et j'abaisse le lit au maximum. Mais cela reste insuffisant, le lit abaissé reste encore trop haut pour la table surbaissée… Je ne peux pas glisser mes jambes dessous. Alors je pousse mes jambes de côté, je glisse la tablette pour qu'elle surplombe le lit et là, très lentement, pour ne pas renverser le (mauvais) café, je remonte le lit en appuyant sur la poignée de déblocage de la table. Cà marche ! Centimètre par centimètre, la table grandit, jusqu'à atteindre une taille raisonnable et surtout utilisable ! Il me reste alors à descendre le lit  pour dégager l'espace suffisant pour glisser mes jambes sous la table et déguster enfin ce petit déjeuner et boire ce café (froid !). Ouf ! Merci à Robinson et à Vania !

         Mais cette tablette comporte aussi une fonction d'inclinaison, qui lui permet de se transformer en pupitre. Très pratique quand tu es allongé, et que tu veux lire, ou raconter par écrit ce que tu vis à l'hôpital ! Mais moi, j'ai toujours eu de la chance, car le côté où se trouvait la table était le mauvais côté, et cette fonctionnalité merveilleuse ne m'a jamais été d'aucun secours, dommage, j'aurais bien aimé… mais bon, tant pis ! Ah ! Ces tablettes !

 

 

Les bassins et urinaux

 

         On distingue fréquemment, les plus éminents spécialistes sont d'accord là-dessus (de Abraham Maslow à Virginia Henderson) les besoins fondamentaux des autres… Les besoins fondamentaux, ce sont les besoins physiologiques de base comme manger, dormir, respirer… et éliminer. Comme disait une publicité : il faut E-LI-MI-NER ! C'est-à-dire aussi d'une manière plus populaire : faire ses besoins (c'est un besoin !!). Tu ne t'en souviens plus guère, mais ces besoins là ont déjà pris toute leur importance dans ta vie, quand tu étais bébé. Tu sais bien : pipi, caca, pot…et tout çà ! Eh bien, là, en 520 PF, çà revient ! Ce n'est pas que tu suives une cure de rajeunissement, mais bien que ces questions-là (pipi etc…) vont prendre à nouveau une place prépondérante dans ta vie. Par la force des choses. Ou de l'hospitalisation plutôt… Le quinquagénaire que je suis (plutôt bien conservé jusque là) se retrouve donc contraint de gérer, de réguler ses défécations, comme l'enfant qui doit aller aux toilettes pendant la récré et pas pendant le cours de maths ! Tu dois prévoir… L'urinal est disponible, il est accroché au bord du lit. Tu t'en

 saisis, tu le mets en position, jusque là çà va… Mais là, il faut y arriver… Tu as l'impression de pisser au lit, et çà, c'est difficile. Tu te retrouves en lutte avec des années d'interdit à braver (« Tu ne feras pas pipi au lit ! ») qui résonnent encore dans ta mémoire. Bon, moi, après un temps de décontraction, j'y arrive. Mais mon voisin, pas. Impossible pour lui de se laisser aller à pareil débordement ( !) dans son lit. Il a dû être vraiment énurétique dans son enfance… Mais bon, sonnette orange, et on vient récupérer ma production liquide. Parfois, c'est aussi difficile de distinguer entre évacuation liquide et évacuation solide… Difficile de séparer les deux… Tu as peur d'une erreur, d'une bavure ! Pour le bassin, c'est pire ! Peu respectueux de ton anatomie, ce moyen de déféquer dans un lit ou ailleurs, est pourtant le seul connu dans nos civilisations modernes, et inchangé depuis des lustres… Mais comme c'est difficile et inconfortable ! Moi, je dois faire le pont, me cambrer, m'arc-bouter jusqu'à réussir à faire passer l'objet sur lequel je dois pouvoir poser mon digne postérieur pour agir…Après, il s'agit de faire ce qu'il faut, et revient l'idée de l'enfant, qui dit qu'on ne doit pas faire çà dans son lit ! Il faut donc se décontracter, et se soulager peu à peu…

 

          Trivial, scatologique, dégoûtant, tous ces adjectifs sont valables pour décrire mon ressenti à ce moment. Et encore, ce n'est que le début ! Car après, une fois soulagé, il faut, dans nos contrées occidentales, s'essuyer avec du papier… Au début de mon séjour, je n'y arrivais pas, toute mon énergie était monopolisée par le maintien de ma position inconfortable. Je devais donc faire appel (sonnette rouge !) à quelqu'un(e) qui venait alors me torcher le cul, et moi, toute honte bue, je regardais négligemment ailleurs avec un certain détachement (complètement affecté)…Horrible ! Honteux ! Il ne m'a donc pas fallu très longtemps pour parvenir à me débrouiller seul pour tout çà, quitte à être dans un état proche de l'épuisement une fois le délestage terminé, mais j'étais prêt à tout plutôt que de subir cet outrage quotidien à ma pudeur ! Tel Robinson hospitalisé, j'envisageai donc le passage à l'acte et l'organisation qui en découlait. Je demandai donc, chaque matin (c'est mon moment favori pour ce genre de sport), le nécessaire c'est-à-dire : un bassin, bien sûr, du papier hygiénique, of course, mais aussi un gant en latex, pour éviter les dérapages ( !) et une alèse en papier pour protéger les draps…Ma liste des courses étant prête, je sonne (orange).

         Ce matin là, à l'aide soignant qui m'apporte mon petit déjeuner, je demande, poliment, s'il peut m'apporter un bassin et un gant. « Pas de problème ! » me répondit-il et il revint très vite avec une bassine d'eau tiède et un gant (de toilette) ! Quiproquo amusant…

         De fait, ma motivation pour la rééducation est fondée sur ce point précis : retrouver l'usage des toilettes tout seul ! Ce seul point représente vraiment un soulagement (dans tous les sens du terme) et un développement fondamental de l'autonomie. Parce que, même si, courageux et volontaire, tu te débrouilles tout seul avec le bassin, une fois que c'est fait, tu sonnes à nouveau (rouge !) et là tu es confronté à un autre problème : la pestilence ! Plus tu attends et plus çà sent…Enfin, après de longues minutes, durant lesquelles tu t'habitues d'ailleurs aux effluves que tu ne sens plus véritablement, arrive enfin un soignant qui s'exclame : « Eh ben ! Cà ne sent pas la rose ici ! » Comme si je produisais des bouquets d'habitude ! Il emporte ma production, me libérant ainsi véritablement, et accomplissant par là même l'une des missions les plus ingrates de son dur métier ! Ah ! Les bassins !

 

 

Et le bric à brac de l'hôpital…

 

         Le thermomètre d'antan qu'on te collait dans la bouche, sous l'aisselle, ou…ailleurs, n'existe plus. Un appareil électronique vient mesurer, au fond de ton oreille la température de ton corps tout entier. Bip, bip, bip, 37°4 ! Tout va bien ! Quand tu es assez mal, tu as droit à une sorte de pince doigtière qui capte (on ne sait pas comment) la saturation en oxygène de ton sang. C'est assez magique, çà bipe aussi avec ton cœur, en cadence. Au début, çà pulse moderato, et puis çà s'en va accelerando parce que tu entends ton cœur, et tu te dis, « Oh ! là là, qu'est-ce qui m'arrive ? » Alors çà accélère ! Tu te dis : « Eh ! Oh ! Pas de panique, quand même ! » Alors, çà ralentit, çà se stabilise…Ouf ! Ah ! La technique !

         Pas de véritable suivi médical sans la bonne vieille radio (ni NRJ, ni RTL !) qui reste toujours bien placée au Hit Parade des examens, car elle coûte moins cher que les scanners et autres IRM. Pour moi, je l'ai dit, j'en avais déjà réalisé trois belles aux Urgences du Docteur Ross, et puis d'autres encore à la sortie du bloc opératoire, mais, finalement, il y manquait quelque chose d'essentiel : une radio de mes poumons ! Oui, tu lis bien ! De mes poumons. Pour quoi faire ? Pour bien vérifier s'il n'y a pas d'infection bronchique. Après çà, on dira encore qu'on est mal soigné à l'hôpital ! Bon d'accord, va pour la radio. Mais, à l'hôpital, entre le moment de la décision du médecin et la réalisation de la commande, la prescription fait tout un voyage d'un service à un autre qui peut parfois prendre du temps. Voyage aller tout d'abord : quelqu'un, un factotum, vaguemestre, emporte le document et l'amène au bureau de réception de ces documents-là. Seconde étape : un bureaucrate quelconque réceptionne ladite demande, et la classe… Etape trois, un autre (ou peut-être même le même) bureaucrate ressort la demande et la transmet au service ad hoc. Quatrième étape, le service des radios donne une date et une heure de rendez-vous pour la radio. Cinquième étape : Ce rendez-vous est retransmis au service de départ (mais peut-être via le service de répartition des demandes, va savoir…). Le résultat est que c'est très long ! Alors que l'appareil de radio en question est à dix minutes (à roulettes de lit) il a fallu deux jours pour avoir le rendez-vous… Et voilà, un matin, c'est l'heure ! Se présentent à moi deux jeunes hommes chaussés de baskets, brancardiers alias pousseurs de lits, sans doute envoyés (c'est pour çà que c'est si long !) par le service des demandes de radios. Ces deux adeptes de Fangio m'emmènent alors à très grande vitesse à travers couloirs, corridors et ascenseurs jusqu'au secteur (tout neuf) d'imagerie médicale situé dans un no man's land entre deux hôpitaux.

 

         La salle d'attente est vaste, claire et belle, c'est du beau travail se dit-on en arrivant. Mais l'ingénieur qui a réalisé cet espace est trop valide pour être honnête. Sa salle d'attente est prévue pour des gens bien portants, ce qui est, malgré tout assez rare dans les hôpitaux. Rien n'est fait pour les lits TGV comme le mien. Oh ! Il y a de la place au « parking », mais là, de suite, éblouissement ! Mes Fangio m'ont garé sous un énorme spot, genre phare de Bugatti, inséré dans le plafond. Aveuglé, tu tournes la tête pour t'apercevoir que les autres personnes alitées sont comme toi, entre « Je cache mes yeux » et « je tourne la tête de côté » pour ne pas être ébloui, voire aveuglé durablement. Le spot dans les yeux, çà te fait un peu comme le « Tu vas te mettre à table ! Hein ? » des vieux polards et le « Ah ! Que je vois que tous les copains sont là ! » de Johnny en début de concert alors qu'il ne voit que les spots ! Mais bon, arrêtons de ronchonner, on va passer pour des râleurs ! Quel bel espace n'est-ce pas ? Ah oui ! Le même architecte, fatigué déjà d'avoir conçu ce si bel espace a aussi travaillé sur les salles qui devaient accueillir les appareils de radiographie, j'ai reconnu son style quand mon lit, pour entrer dans la salle, a griffé sauvagement les portes de l'entrée trop étroite pour un lit TGV comme le mien. Ah ! Ces architectes !

         Finalement, près d'une heure plus tard, tandis que j'attendais sous mon spot, l'imaginant converti en lampe à UV, et moi tout bronzé, voici le retour de mes deux Fangio. Ils me ramèneront dans ma chambre en moins de temps qu'il n'en faut à l'administration pour comprendre ma demande de radio, et voilà le travail ! Je leur ai suggéré de se munir d'un podomètre pour évaluer le nombre de kilomètres effectués chaque jour, et ainsi d'établir des records ! Ah ! Ces brancardiers !

         Moi, j'avais gardé ma radio, emballée dans une grande enveloppe de papier kraft. Et, au final, seul un interne, deux jours plus tard, a jeté un rapide coup d'œil dessus… Quelle déception, tout çà pour çà ! Enfin…

 

 

Les « perfs »

 

 

         Non pas, ami sportif, les performances, mais plutôt cette fois, les perfusions…J'en ai déjà dit quelques mots tout à l'heure, mais voici un bel outil de l'Hôpital qui mérite bien son propre paragraphe ! La perfusion, c'est cette petite aiguille creuse (comme dirait Maurice Leblanc) qui est plantée dans ton avant-bras, dans ta main, à ton poignet ou au creux du coude. Les déplacements de cette aiguille sont orchestrés en fonction de l'état du lieu de plantation… Avec le temps, l'emplacement n'est plus bon, et le nomadisme doit reprendre. Alors, la zone de plantation désertée devient souvent bleue (c'est la fameuse zone bleue !), mais elle jaunit ensuite passant parfois par un violet du meilleur effet. Mais une aiguille seule ne sert à rien. Elle est reliée via un tuyau, à un flacon, ou une poche de produit. Les contenus de ces récipients sont divers, en fonction de ta santé : glucose, médicaments divers, sang, morphine, fer, etc…

Un jour, une infirmière plombière est venue m'installer une rampe de six robinets. J'avais, ce jour-là, beaucoup de produits divers à absorber, et chaque poche était reliée à un petit robinet. Cela permet, comme en plomberie, de distribuer le produit nécessaire. Le robinet à trois positions permet de fermer l'arrivée du produit, de l'ouvrir, de l'ouvrir en fermant les précédents…Compliqué, tout çà ! Mais, au final, les produits te sont injectés au goutte à goutte, soit bruts, soit cocktailisés…

         J'ai eu beaucoup de choses qui m'ont été instillées par ces perfusions…On m'a transfusé, et ce sang, qui permet de retrouver des forces quand on est anémié, pose quand problème. Pendant qu'il s'écoule, goutte à goutte dans ton bras, tu penses à celui ou celle qui l'a donné. Mes pensées m'ont mené vers mon ami qui a été transfusé dans les mauvaises années et a gagné le VIH… Tu penses alors aux gens qui ont donné, dans des gymnases, dans des cars, dans des villes et des villages. Tous ont contribué à ta guérison. Tu espères malgré tout, que tous étaient sains, n'étaient ni drogués, ni alcooliques, et que ce sang ne t'apportera que la guérison… Merci à vous, les donneurs !

Drogué pour drogué, je me suis adonné à la morphine, pour lutter contre la douleur. Certains ont droit à une pompe, pas moi (peut-être parce que je suis cycliste…) et c'est donc en sachet, par perfusion que j'ai eu droit à ce produit anti-douleur. J'ai donc eu droit, en tant qu'effet secondaire, à quelques bouffées hallucinatoires. Un soir, je me souviens avoir tenu des propos qui ont dû sembler totalement incohérents à ma fille. J'ai entendu, pendant deux jours, une musique lancinante, qui recommençait sans cesse, le jour comme la nuit et vingt quatre heures sur vingt quatre ! Ce n'était qu'un bourdonnement dû au système de ventilation…Un soir aussi, c'est souvent le soir que cela se produit, je vois dans l'écran de la télévision (éteinte !) des reflets de ce qui m'apparaît comme un spectacle avec danseurs, lumières, chorégraphies, et tout et tout. Dans mon esprit (brumeux), ce spectacle, ou peut-être sa répétition, se déroule dans le stade qui se situe non loin de l'hôpital. Je propose donc à ma fille de regarder par la fenêtre, ce qu'elle fait sans sourciller, et ensuite, poliment, la chère enfant me dit qu'il n'y a rien dans ce stade… Elle a dû penser :  « Ouh là là , il disjoncte grave, le paternel ! ». Mais bon, voilà, c'est pas ma faute, c'est la morphine !

         Certains autres soirs, j'ai vu aussi, sur le mur vert pisseux de la chambre, des personnages apparaître, puis s'animer. Hauts en couleurs, irisés parfois, ces groupes de gens évoquaient la tapisserie de Bayeux, se muant en représentation Davidienne des épopées napoléoniennes ! En moins guerrier et plus artistique, quand même ! Ah ! La morphine !

 



07/03/2009
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