"520PF Plongée dans l'univers étrange de l'hospitalisation"

12 - Lent, long, lent...

Long, lent, long…

 

Ma vie ici s’écoule lentement au rythme lent des rééducations…Rythme lent, car finalement, je n’y passe que très peu de temps, et je passe en définitive, le plus clair de mes journées à attendre (cf. Paragraphe précédent). Le matin, j’ai vingt minutes de kiné avec Pierre, le stagiaire de seconde année, qui ne sait jamais trop bien quoi faire. Il me fait faire de courts exercices, qui, me semble-t-il, ne m’apportent pas grand’chose. Il masse aussi ma cicatrice. Je devrais dire, il me fait des « papouilles ». La différence entre un massage et des papouilles, réside dans le ressenti du patient. Le massage de cicatrice, le vrai, te malaxe les chairs, c’est assez dur à supporter, ce n’est pas (oh non !) une caresse. Les papouilles, elles c’est des guilis d’enfant, c’est la même différence qu’en l’utilisation du rateau ou celle de la charrue dans un jardin…Tu imagines le résultat ! Malgré mes demandes réitérées, il n’a pas évolué dans sa manière de faire, et ces vingt minutes passent vite en me laissant un sentiment de vide. Cette séance m’a –t-elle apporté quelque chose ? Je ne crois pas. La séance de l’après-midi est assurée par le kiné en poste. Elle dure (un peu) plus longtemps et les massages y sont franchement plus appuyés. C’est plus du malaxage, du triturage, mais çà fait du bien, çà remet la viande en place ! Mais, là aussi, les vingt (allons, soyons généreux !) à vingt cinq minutes se passent très vite et je retourne à mon vide et au temps qui s’écoule lent, long, lent…

En dehors de ces deux séances rédemptrices, je poursuis une forme d’autorééducation avec l’arthromoteur. A raison de deux séances de trois quarts d’heure, cet appareil plie ma jambe gauche et la déplie. L’angulation du pli est déterminée par un réglage. Au début, je pliais à 30°, j’en suis aujourd’hui à 90°. Mais ce n’est pas fini, il me reste des progrès à accomplir.

 

Parfois, je me dis que la vraie rééducation, c’est moi qui me la fais avec cet appareil. De manière régulière, obstinée voire opiniâtre, cette heure et demie quotidienne m’a réellement permis de progresser (davantage que la kiné ?). Quant on pense au prix de journée de la structure, on se dit qu’avec moi, ils ont fait un sérieux bénéfice !

Hors de cela, et des tâches quotidiennes (tu sais bien, les toilettes, les repas, les pipis, et tout çà…) le temps s’écoule long, lent, long… Alors j’écris. Ou je lis. Robinson et Vania avaient du travail, leurs journées étaient remplies de toutes ces tâches (parfois exténuantes). A moi ! Mes bons maîtres ! Que fais-je ? Qu’attends-je ? Dans quel état j’erre ? L’ennui me guette. Je ne peux pourtant pas passer mes journées entières sur cette machine plieuse de jambe ! J’arrive à l’avance en kiné, je ne suis (plus) jamais en retard au self. Tout ce que j’ai à faire est fait, je l’ai dit, en temps et en heure… Et après ?

Une amie s’est émue de mon sort de patient impatient. Elle m’a fourni de nombreux romans policiers pour me permettre de ne plus sentir le temps passer. Un roman policier, un bon roman policier, t’emmène et tu es happé par l’histoire . Ainsi, les heures peuvent s’écouler sans que tu ne t’en aperçoives. J’ai ainsi lu des policiers (on dit des polars) américains, mais les goûts éclectiques de mon amie m’ont permis de découvrir des polars islandais, suédois avec Hennig Mankel, que j’ai déjà cité. Les sept ou huit romans suédois que j’ai dévorés m’ont permis de me découvrir des affinités avec Kurt Wallander, le commissaire génial (c’est peut-être là que je lui ressemble le moins…) et tellement humain (là un peu plus !) qui nous fait visiter la Scanie et réfléchir sur l’évolution de nos belles sociétés occidentales. Peut-être faudra-t-il alors que j’ajoute le commissaire Wallender au nombre de mes mentors. Il pourrait bien m’aider dans l’analyse des situations que je rencontre. Il figurera donc en bonne place aux côtés de Vania et Robinson. Ainsi ce temps long, lent, long (ou lent, long lent… C’est à peu près aussi terrible !) peut-il s’éclaircir avec des réflexions issues de lectures, et de certaines réflexions plutôt délirantes…

Arrivé à ma sixième semaine de captivité, je suis allé faire des radios pour vérifier l’état de consolidation de mes fractures. Chacun s’est alors réjoui de constater comme les cals étaient beaux, et l’avenir prometteur. Le médecin de « L »Espérance » me parla de balnéothérapie, et dès le lendemain, j’avais le maillot de bain et le bonnet (obligatoire !). Et puis, du coup, l’idée se précisa de mon passage à l’Hôpital de Jour. Tu imagines comme j’étais prêt ! Prêt à remplir enfin cet emploi du temps vide avec tout çà : trempette, retours quotidiens à la maison… Mais, car dans toutes les histoires il y a des « mais », le médecin (par ailleurs enchanté de cette évolution globalement positive) me dit alors qu’il attendait « malgré tout » l’avis du chirurgien que je devais rencontrer la semaine suivante.

Je retourne donc à Salenvrac, où je suis reçu par…un interne ! Un jeune homme que je ne connais pas (ce qui signifie que lui non plus ne me connaît pas) et qui, sans jeter le moindre coup d’œil ni à ma jambe, ni à mon poignet, décide, à partir des radiographies, de reporter la mise en charge à trois semaines. Il ne se rend pas compte, le bougre, qu’il vient de me condamner (moi qui suis innocent) à trois semaines de lent, long, lent ! Robinson a ressenti cette immense déception en voyant passer au loin des voiles qui auraient pu le libérer, mais qui se sont éloignées à l’horizon, le laissant à son île… Son moral (et le mien donc !) chute alors en même temps que s’éloignent ces voiles, perspectives de salut. « Je m’voyais déjà… » disait Aznavour. Cela vaut pour moi aujourd’hui. J’attendais (impatiemment !) cette modification de mon emploi de temps long, lent, long. Et voici que cet interne (un terne !) au vu d’une radio, sans me jeter le moindre regard, me replonge dans ce long, lent, long pour trois semaines… Vingt et un jours, soit  plus de cinq cents heures… La condamnation me paraît sévère … Et on voudrait que j’aie le moral ! Robinson ! Comment as-tu fait ?

 



11/03/2009
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