"520PF Plongée dans l'univers étrange de l'hospitalisation"

2 - Urgences : Docteur Ross, où êtes vous?

URGENCES 

« Docteur Ross, où êtes-vous ? »

 

         J'ai peu envie de rire quand j'arrive aux urgences. Même si, amateur incorrigible de mauvais calembours, j'ai tenté durant le voyage quelques plaisanteries fadasses (mais j'avais une excuse : la douleur). Les joyeux pompiers m'ont emmené dans leur cahotante camionnette rouge pin-pon. Ce jour-là tu te dis : « Tiens, aujourd'hui c'est moi qui suis dedans, genre Cette-histoire-dont-vous-êtes-le-héros ! ». Gentils pompiers, quoique la manière dont ils évoquaient leur steack-frites du midi avait un côté un peu tortionnaire… Je n'en mangerai pas, moi, du steack ! Je suis blessé, je vais à l'Hôpital. Et chaque soubresaut de la route me tire des grimaces et des « Aïe, ouille ! » et ce, malgré les efforts et la vitesse (très) modérée du gentil pompier chauffeur… Cà fait mal…

         Urgences, on entre rapidement sur le brancard des pompiers. Pas de Docteur Ross en vue…Transfert sur un brancard de l'Hôpital : Aïe !

         Ici, il y a beaucoup de monde, certains dorment, s'agitent, ou crient, ils sont dans des lits : ce sont les patients. D'autres, debout, tout de blanc vêtus s'agitent et crient aussi : ce sont les soignants.

         Dans l'univers que je découvre, ces deux espèces singulières cohabitent tant bien que mal (Aïe !). Les patients doivent l'être et les soignants, bon an mal an, te soignent…

         « Mais non, mais non, çà ne fait pas mal ! » dit cet aide-soignant en déplaçant ma jambe au cinq morceaux d'os. J'ai l'impression inverse : Cà fait furieusement mal ! Mais déjà, le doute s'installe en toi, car lui, le soignant, il sait la douleur, la maladie, tout çà, c'est son quotidien de travail. Alors, s'il te dit que çà ne fait pas mal…il doit avoir raison et moi tort ! Mais, pourtant, nom de nom ! Bien sûr que çà fait mal quand même ! Je déciderai donc de ne plus adresser la parole à ce monsieur qui n'a de soignant que le nom. Il est davantage trieur de blessés, manipulateur de viande accidentée que soignant : nor cure, neither care !. C'est un peu la fraise tagada du soignant autant soignant que cette fraise est fraise ! Genre Tagada soin-soin !! Il a probablement trop vu de souffrances pour s'en inquiéter encore. Le soignant s'endurcit pour survivre, se blinde derrière la négation de douleur qu'il appose sur chaque « patient », niant par là même l'existence humaine dudit patient. Trop de douleur tue la douleur ?

         « Oh ! Il va falloir enlever çà ! »

         Cà, c'est mon alliance de mariage, installée à mon annulaire depuis plus de vingt cinq ans… J'essaie de la faire glisser, mais pas moyen, çà ne bouge pas… La fracture du poignet a faite gonfler toute ma main et je ne peux l'enlever… « Bon ! On va la couper alors…» et il s'en va. Après une pointe au cœur en pensant qu'il parlait de ma main, je le vois qui revient très vite avec un petit outil, glisse une patte sous mon alliance et se met à tourner une petite molette qui, peu à peu, vient à bout de mon alliance… Grimace de ma femme qui emportera l'anneau brisé…

         « Radio, prise de sang ! » Voilà la commande. On me pique alors (première d'une longue série) pour prélever du sang aux fins d'analyse, et pour établir mon groupe sanguin.

-         Mais il est noté sur ma carte !

-         Trop vieille !

         Alors, OK, on pique… Le Dracula remplit consciencieusement ses quatre tubes de couleurs différentes de mon jus de groseilles personnel. Il me colle ensuite un bout de coton avec un sparadrap et s'en va… On se dit alors, entre deux aïe et deux ouille qu'elle est belle la science !

-         Et la radio ?

-         Bientôt monsieur, on viendra vous chercher !

         Ben, non, c'est pas la peine, je vais y aller à cloche-pieds !

         Mais qui réapparaît ? Mon Dracula ! Il y prend goût, ou quoi ?

-         Vous êtes né le vingt et un avril cinquante six ?

-         Non, moi c'est le vingt sept !

-         Bon, alors on va devoir recommencer, les étiquettes ne sont pas bonnes.

         Voilà donc un prodige de la technique moderne ! Parce qu'un gloglo quelconque s'est trompé en copiant ma date de naissance, la logique hospitalière (qui, pour le coup, l'est assez peu !) veut que l'on recommence une prise de sang pour pouvoir, enfin, y apposer les bonnes étiquettes… Changer les étiquettes aurait été trop simple…

         Qui a dit qu'elle était belle la science ?...

          Et  Dracula repart avec quatre nouveaux tubes de mon jus de groseilles qui arborent fièrement leurs étiquettes clamant à qui veut l'entendre ma date de naissance !

         Quelques minutes de repos avec ma femme…

-         C'est parti pour la radio !

         La radio, çà ne me fait pas peur. Cà ne fait pas mal, une radio. Ce qui fait mal, ce sont les déplacements. Chaque mouvement entraîne des douleurs très vives accompagnées de craquements sinistres… Et nous voilà partis, en marche arrière pour moi, mais je ne vais pas me plaindre de ne pas m'y rendre les pieds devant ! Défilent les néons des couloirs, lugubres… Comme dans un polar de série B… Inquiet quand même.

         Finalement, nous arrivons. Je suis alors pris en charge par deux personnes devisant gaiement, plaisantant. Je leur dis ma douleur, ils l'entendent. Ainsi, dans ce havre détendu, mes radios seront faites rapidement, et sans aucune douleur supplémentaire. Elles montreront l'étendue des dégâts sur ma cuisse et mon poignet. Merci les radiologues de votre compréhension, de la bouffée d'air que vous m'avez offerte, et des réglages indolores de vos énormes machines. Fracture du fémur et du poignet, va falloir opérer !

         Retour rapide au box des urgences, et commence l'attente de l'intervention… Un peu de répit avec ma femme…

 

          L'Intervention : le Bloc

 

         On m'amène au bloc, où les lumières sont encore plus blafardes que dans les couloirs. Il y fait frais… Et de vieilles images de films horribles reviennent en mémoire. La table est là au milieu, trônant fièrement et semblant dire, comme la pendule du salon de Jacques Brel : « Je t'attends ! » Deux personnes arrivent et se demandent comment enlever mon collant de cycliste.

-         Bah, on l'enlèvera quand vous serez endormi, çà ne vous fera plus mal !

J'adhère au projet ! L'heure de l'intervention est fixée à quatorze heures trente. Horaire calculé en fonction des deux tartines avalées ce matin et de la fin minutée de leur digestion…

         Et puis, voilà, c'est l'heure !

-         Respirez monsieur !

Je respire, et, très vite, il n'y a plus rien, plus rien du tout. Le trou est profond et, quand on se réveille, on a le sentiment qu'on vient juste de s'endormir alors qu'on a perdu des heures de vie consciente.

         J'apprendrai plus tard l'angoisse de ma femme, qui a attendu toute l'après-midi la fin de l'intervention…

Le clou Gamma qui sera dorénavant dans ma jambe     

         Celle-ci durera sept heures et s'achèvera donc vers vingt et une heures trente. Entre temps, on finira par la renvoyer à la maison, lui disant de revenir demain ! On imagine les affres qu'elle a traversées…Tandis que je dormais… De fait, l'intervention se révéla plus complexe que prévue. Je perdis beaucoup de sang durant le traitement de la fracture du fémur, réputé pour être sanglant. On dut me transfuser durant l'intervention…Malgré tout, cette intervention me pose encore question aujourd'hui. Sept heures pour çà, çà paraît vraiment long, ou alors…

         Ou alors, j'imagine des scènes un peu gore, genre « Mashe », où le sang (mon sang !) s'écoule à gros bouillons. Le chirurgien et son assistant, tiens, oui, celui qui dit que çà ne fait pas mal, s'agitant dans un bain de ketchup. Grossiers, comme dans ces mauvais films américains : « Oh ! Putain ! Cà pisse encore le sang ! Eh ! Paulo ! Gardes-en un peu, on en fera du boudin ! » Rires gras, et horreur au rendez-vous… Comme dans la scène du « Père Noël est une ordure » dans laquelle Gérard Jugnot ressort badigeonné de rouge sang jusque sur ses lunettes, brandissant une énorme scie égoïne dégoulinante elle aussi,  et dit : « Vous pouvez me nettoyer, j'ai ripé sur un os et… », Bref, l'horreur !... Mais bon, moi, je dormais ! Toujours est-il que tout finira par rentrer dans l'ordre et que le paquet cadeau sera refermé par cinquante quatre agrafes ! Tout va bien, perfusion, morphine…

         Le réveil me prendra peu à peu dans une autre salle lugubre elle aussi, dans laquelle un des tortionnaires a accroché une pendule au mur jaune pisseux. Et entre deux heures trente et sept heures, je me rendormirai plusieurs fois dans une sorte de semi coma. Peu à peu, les remontées seront plus fréquentes, et la douleur réapparaîtra aussi…

         Vers sept heures trente, on me transférera vers le service de « Traumato-Sud ». Chouette ! J'ai évité le Nord ! J'aurai (peut-être) l'impression d'être en vacances… Arrivée dans la chambre. Ici commence le monde étrange et décalé du 520 PF…



07/03/2009
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