"520PF Plongée dans l'univers étrange de l'hospitalisation"

18 - Galerie de portraits

Galerie de portraits

(Tous les prénoms ont été changés, évidemment !)

 

Robert

 

Après Chif et Gilles croisés à Salenvrac, Robert est mon premier voisin à « L’Espérance ». J’en ai déjà un peu parlé, mais un complément est nécessaire, et il débutera avec beaucoup d’honneur cette galerie de portraits rencontrés ici.

Robert a une soixantaine d’années. Il a roulé sa bosse de chantier en chantier aux quatre coins du monde (mais le monde a-t-il des coins ?). De retour au pays, il s’est séparé de sa femme, et, après le décès subit de son frère qu’il aimait beaucoup, il s’est réfugié dans l’alcool. De verre en verre, il s’est détaché peu à peu de tout, au point de n’avoir plus même de logement. Un accident mystérieux l’a amené ici… Je ne le questionne pas là-dessus, c’est sa vie et je la respecte.

Robert avait, quand je suis arrivé déjà pris la télé, c'est-à-dire qu’il avait payé la location pour plusieurs jours encore. Il me lança : « Bah ! T’embêtes pas, tu paiera la suite !... » La simplicité, version Robert. Quant à moi, la télé ne m’intéresse pas trop, et je lui laisse du coup le choix des programmes. Dans une chambre double, je l’ai dit, cela peut occasionner des mésententes, voire pire…Robert aime les séries TV anciennes : Derrick, Maigret (rien à voir avec Kurt !), Starsky et Hutch, et les films catastrophes de série B…Parfois, au milieu de tout çà, il choisit un bon film, et j’y jette alors un coup d’œil distrait. Au fil des jours, je m’aperçois que Robert m’a accepté, il me fait, un dimanche matin, cadeau d’un morceau de baguette et de chocolat à tartiner, en me disant :  « Tiens ! Mange çà, çà te fera du bien ! »

Un autre jour, me voyant peinant à enfiler ma jambe gauche de pantalon, il m’aide, comme çà, en passant… C’est un brave , Robert. Un cœur gros comme çà, et une tonne de choses dessus pour le cacher. Il se donne un air de dur, mais il a des regards d’enfant. De son temps de vie sans domicile fixe, il a gardé certaines habitudes. La peur du vol, le fait d’amasser et de cacher ce qu’il possède…Le couteau sous le coussin du fauteuil roulant, mais çà, chut ! C’est un secret !

Enfin, avec le temps, il se mettra à évoquer sa vie passée. Souvent, le matin, assis sur le coin de son lit, il se met à raconter sa vie… Et moi, je l’écoute. Il a été chef de chantier dans une entreprise de construction de pylônes. A lui, la responsabilité de leur construction avec une petite équipe. « La Frite » qu’on l’appelait ! Et je l’écoute en imaginant ce jeune vieillard, roulant au volant de son camion GMC dans les déserts de l’Arabie Séoudite (c’est par là, mec !) ou aux quatre coins (hum !) de France, construisant, contre vents et marées, sous le soleil ou la neige, ses fameux pylônes. Dans ses histoires, il a souvent le beau rôle, parfois même un peu trop… Mais je le laisse dire, çà a vraiment l’air de lui faire du bien ! Il a solutionné la construction du pylône de Berlin, viré un ouvrier qui mentait et avait le vertige, conduit sa voiture (avec la caravane) sur des routes de montagne impraticables car verglacées, rendu service à des bédouins, … Tout est plausible mais en décalage avec le Robert d’aujourd’hui, si limité dans ses gestes, qui semble avoir tant vieilli. Et puis, toujours, dans chacune de ses aventures (Robert au Yémen, Robert à Berlin, Robert à Vierzon, …) est aussi présent un élément incontournable : l’alcool. A chaque histoire, sa pause apéro, repas arrosé. Il n’est pas allé construire de pylône en Ecosse, il n’en parle pas, mais il doit le regretter. Le pays du Whisky l’aurait probablement accueilli en héros, en bienfaiteur national. Dans chaque histoire, les bouteilles du liquide jaune se succèdent à un rythme effréné, mais rarement seules… La bière, le rosé, le pastis, tout y passe… Mais bon, çà, c’est sa vie !

Robert est généreux, je l’ai dit. Un jour, ma femme l’emmène dans un magasin pour qu’il puisse s’acheter ce dont il avait besoin. Arrivé à la caisse, le jeune garçon qui les précède n’a pas assez d’argent pour payer ses achats. Il lui manque un euro. Dans cette situation, chacun cherche ce qu’il pourrait enlever du tapis roulant pour avoir de quoi régler la note. Sauf Robert qui dit : « Je vais lui donner, moi, cet euro ! » avec un naturel déconcertant. Sa générosité est naturelle, évidente, sans calcul. C’est comme çà et c’est tout ! Sacré Robert !

Et, un jour, Robert m’apprend la cause de son séjour, les circonstances de son « accident »… Oh ! Il ne dit pas tout dans le détail, il est trop pudique Robert. Je comprends alors, et j’y avais pensé, qu’il a été agressé par des individus qui lui ont fracassé la mâchoire, l’épaule et le bassin, occasionnant pour ce malheureux des mois de soins et de souffrances. Révolté, je lui demande s’il a porté plainte, mais Robert n’aime pas la police et n’a rien dit. Il compte, selon lui, sur ses relations du quartier pour retrouver (et châtier) les coupables, qui se révèlent être de sinistres sauvages ! Et puis voilà, après c’est fini. Il n’en parlera plus. Il a cette faculté de tourner la page rapidement. C’est le pouvoir de passer d’un hier difficile et douloureux à un demain qui pourrait aller bien. C’est çà, l’optimisme !

Et un jour, on apprend que Robert va partir. Une place lui a été trouvée dans une structure d’hébergement de la ville d’à côté et il va pouvoir y être accueilli. Bonne nouvelle, mais mauvaise nouvelle aussi…Il va quitter le connu pour l’inconnu, et je vois bien que çà l’inquiète. Mais que peut-on faire ? Il ne peut pas rester ici à vie. Alors, il prépare ses petites affaires pour son déménagement. Et puis le jour arrive du départ, qu’il souhaite rapide, ce grand sensible ! Il me serre la main, je lui souhaite tout le meilleur, et lui laisse mes coordonnées : « Si tu as besoin de quoi que ce soit, n’hésite pas ! » Et voilà Robert parti. Bonne route à toi, vieux camarade et merci !

 

 

 

Gilbert

 

C‘est un homme déjà assez âgé, probablement septuagénaire depuis plusieurs années… Il a été amputé d’une jambe à cause d’un diabète tenace qui le poursuit depuis toujours. Il reste à « L’Espérance » tout le temps, semaine et week-ends. Il est un peu sourd et, du coup, parle fort, et avec un bel accent de ch’nord ! L’autre matin, je me suis installé face à lui au petit déjeûner. Je l’ai salué, mais il ne m’a pas répondu. J’en étais à me demander ce qui le rendait aussi silencieux, quand tout à coup, la machine s’est mise en marche :  « Et patati et patata… » Gilbert parle. Il raconte ses aventures, ses mésaventures, des histoires glanées çà et là, les réflexions que tout çà (le vaste monde de l’Espérance) lui inspire. Le tout en patois et très fort. Cà donne à peu près ceci : « C’matin chétot eun jeun, l’infirmière. Elle ravis’ min taux d’chuqu’. « Oh ! là, là ! » Qu’ell’dit « Mais c’est beaucoup çà ! » Ben ouais, qu’j’y dis, in’d’a assez pour nouzot’deux ! » Voilà, çà, c’est Georges.

 

Maurice

 

Maurice a une grosse hémiplégie. Il a du mal à parler. Il y arrive cependant, mais hésite vraiment à se lancer. Il a la soixantaine. Son regard est évocateur d’une souffrance intérieure. Il avance difficilement avec son fauteuil roulant, mais préfère se débrouiller seul. A table, installé face à lui, je lui ai parfois proposé de l’aide quand je le voyais peiner. Et à chaque fois, il me répond :  « Non, çà va ! Regarde ! » Et il parvient à tout faire, même si ce n’est pas toujours très académique : je l’ai vu beurrer sa tartine avec le pouce. Mais, au moins, il le fait seul, et pour lui, ce doit être très important. Maurice, reste souvent solitaire. Mais les plus anciens le reconnaissent comme un homme gentil. Peu bruyant, car peu loquace, Marcel me croise et me jette un clin d’œil et un petit sourire.

 

Max

 

Max a la soixantaine. Amputé d’une jambe à cause d’un diabète persistant, il a eu aussi d’autres gros problèmes de santé puisqu’il est trachéotomisé depuis dix sept ans. De celle-ci, il garde une voix dont le timbre est à mi-chemin entre le rot et la toux grasse… Inutile de dire que c’est difficile à supporter (au début, en tous cas). Du coup, Max ne parle quasiment jamais. Il se rend bien compte de l’effet qu’il fait aux gens, alors, il préfère se taire, et il garde une distance silencieuse. Un jour que j’étais à table avec lui, j’évoque la trachéotomie et la possibilité, dans la connaissance que j’en ai (en tant que spectateur !), de l’enlever. Une trachéotomie n’est pas installée pour toujours, on peut l’enlever et le trou se referme, moi, j’avais vu çà à plusieurs reprises avec les enfants que j’accompagnais. Et lui, tranquillement, m’a répondu avec un sourire qui en disait encore plus long, qu’au bout de dix sept ans, çà l’étonnerait… J’ai eu du mal à trouver autre chose à dire qu’un « excuse-moi, je ne savais pas… » Son sourire était à ce moment assez désabusé. Alors il réagit, Max. Il marche aujourd’hui avec une prothèse. Il a commencé avec deux béquilles. Très vite, on l’a croisé avec une seule béquille. Et bientôt, le voilà qui marche avec une simple canne, un petit sourire bien différent de celui que j’évoquais tout à l’heure : celui-là est un sourire de vainqueur ! Max m’est sympathique, et l’est devenu plus encore quand il s’est mis en quête de partenaires pour la belote, un midi. Lassé de mes lectures, j’ai accepté de bon cœur et rejoint mes trois compères chaque midi. Il faut le voir, Max, quand il joue (et il joue bien !), comme il te guette. Il se fait renard habile quand il surveille le jeu, escomptant bien te piquer ton dix avec son as, ou quand il compte les atouts pour s’assurer un triomphe complet : « Belote, re-belote, et dix de der ! » Il a beaucoup de ressources, Max !

 

Monsieur Propre sur lui

 

Lui, je ne sais pas comment il s’appelle. Il a la trentaine. Il est toujours vêtu très « propre sur lui », coiffé en « premier de la classe », tiré à quatre épingles, le tout, assis dans un fauteuil roulant pour une raison que j’ignore… Il a fréquemment des avis péremptoires sur tout un tas de sujets, et souhaite le faire savoir. Il semble assez « m’as-tu vu ». Il formule ses demandes comme autant d’exigences, il ne pratique pas les formules de politesse avec le personnel qui travaille ici à aider les « patients ». Il est peu apprécié et mange souvent seul. Il râle bruyamment quand, le matin, il ne trouve pas dans les paniers disposés sur les tables, sa confiture de fraises… Il ne s’intégrera donc pas à la masse des patients, qui lui sert des qualificatifs du genre « petit cul », ou plus prosaïquement… « trouduc ! » Comme disait Labiche « Un égoïste, c’est quelqu’un qui ne pense pas à moi ! »

 

Charles

 

Il a la trentaine, et il est originaire de Côte d’Ivoire. Son aventure est peu banale. Une tumeur (bénigne) a poussé sur sa colonne vertébrale en comprimant ainsi, peu à peu sa moëlle épinière. Il est ainsi devenu progressivement tétraplégique, c'est-à-dire qu’il n’avait plus l’usage ni des jambes, ni des bras… La paralysie totale. Il ne pouvait plus ni marcher, ni tenir quoi que ce soit dans les mains. Arrivé à l’hôpital, on lui apprend que la responsabilité de cette situation est une tumeur. L’enlever chirurgicalement présente de gros risques, et notamment celui de le rendre définitivement tétraplégique si la moëlle est touchée durant l’intervention. Que faire ? Les médecins hésitent. Ils réfléchissent longuement et gardent Charles en observation pendant trois semaines. Lui, il n’aime pas l’hôpital, et il se préparait à se sauver. Il te raconte çà avec son grand sourire tout blanc et en roulant délicieusement les r.  Charles, lui, résume l’affaire autrement. Il dit : « Qu’est-ce que je risque ? D’être tétraplégique ? Je le suis déjà ! Alors, opérez-moi ! » Alors, les médecins l’ont opéré. Et, quasiment tout de suite, il a pu se lever, ses mains fonctionnaient à nouveau. La guérison, en somme. Alors, après la surprise, les médecins lui ont proposé un séjour de rééducation à l’Espérance. Et Charles est arrivé, mais les médecins du Centre, craignant une faiblesse, et des risques de chute lui ont proposé de se déplacer, dans un premier temps, en fauteuil roulant. Mais lui, il n’en veut pas de ce fauteuil roulant ! « Mais regarde ! Je sais marcher ! » et le voilà qui avance doucement de son pas chaloupé d’Ivoirien. Il a d’abord porté une minerve pour protéger son pansement, mais, très vite, il a enlevé tout çà. « Cà me gêne, j’aime pas ! » disait-il. Charles fait envie… Pour tous les autres. On aimerait que les autres séjours se terminent eux aussi en Happy End, comme le sien. Charles doit quitter l’établissement jeudi. Il est déjà prêt deux jours avant, et sa voiture est sur le parking… Résistera-t-il  à la tentation?

 

Ahmed

 

C’est un petit homme atteint d’une paraplégie, qui le prive de l’usage de ses jambes. Il est ici depuis longtemps. Ahmed, c’est l’esprit d’Ivan Denissovitch incarné. Il aurait pu être surnommé Ahmed La Débrouille. Il pratique aisément le troc, l’échange, se fait livrer des choses, parfois prohibées, sous le manteau, et dans le sac ! Il sort fréquemment du Centre. Pour fumer d’abord, mais aussi pour se rendre au Centre Commercial voisin. Il dispose de matériel audiovisuel personnel dans sa chambre et traite avec l’un, avec l’autre, pour récupérer un transformateur par ci, un cordon d’alimentation par là… Il a le sens du commerce, du négoce… On le verrait très bien dans l’épicerie d’Amélie Poulain à la place de Djamel… N’empêche, quand, Robert a acheté une petite bouteille de whisky, c’était lui le client… Mais çà, il ne faut pas le dire !

 

Aline

 

On aurait pu croire que l’Espérance était comme le monde de Tintin, sans femmes ! Eh bien non ! Aline en est une, une jeune d’une trentaine d’années. Suite à un accident elle est devenue paraplégique. Elle est pourtant encore considérée comme une patiente « en voie de récupération », mais aujourd’hui, cela stagne… les progrès, qu’elle espérait nombreux et rapides, se font désormais attendre. Alors elle déprime… L’autre jour, au beau milieu de la salle de kinésithérapie, elle pose la question fatidique : « Est-ce que je vais remarcher un jour ? » Personne ne lui a répondu. C’est la question, ou plutôt la réponse qui tue, qui tuerait celui ou celle qui l’entendrait… Cette question attend une réponse de type binaire : c’est oui, ou c’est non. Alors personne ne répond parce que personne ne peut effectivement dire si la période de récupération est réellement terminée. C’est trop tôt encore pour tirer là-dessus un trait définitif. D’autre part, toute tentative de réponse positive à cette question, mettra Aline en situation d’espoir immense. Elle va attendre ce jour avec impatience, œuvrer dans ce sens. Cela aura un effet stimulant au moins durant un certain temps. Mais après ? Et si, après tous ces espoirs, elle ne remarchait finalement plus ? A ce moment, la chute sera encore plus dure, terrible…Et cette chute ressemble à celle que l’on peut provoquer en répondant « Non » à la question posée par Aline. Question impossible Aline !

Cela me rappelle la maman d’une petite fille qui, très lourdement handicapée suite à un accident, ne progressait plus. Cette dame s’est un jour plantée devant moi dans le couloir et m’a dit : « A moi, vous pouvez bien me le dire, hein ? D’après vous, elle va remarcher ma fille, hein ? Dites-moi ? » La question était posée avec, outre les yeux dans les yeux, un timbre de voix qui voulait dire tout son désespoir… Que dire alors ? J’ai botté en touche en rendant la parole à cette maman désespérée : «  Et vous, qu’est-ce que vous en pensez ? »

 

 

Bertrand

 

Il travaillait chez lui, bien tranquillement, et puis plus rien… Un trou noir… Il s’est réveillé à l’hôpital avec une fracture de vertèbre. Quelques semaines plus tard, il arrive à l’Espérance où il va apprendre à porter un corset de plastique, qui lui serre l’abdomen, et à se déplacer en fauteuil roulant. Il a, du haut de ses cinquante huit ans, un regard éperdu d’enfant. Il plaisante, il parle de tout çà avec un air détaché, mais ses yeux crient : « Au secours ! » Lui aussi, comme Aline, souhaite poser la question fatidique…Mais il n’ose pas bien. Il observe ses progrès, il s’en réjouit, mais (évidemment) il en veut encore bien davantage. Il a évoqué, un midi, un rêve qu’il avait fait : il retournait à son travail, mais debout ! En me le racontant, ses yeux se sont embués de larmes, et des sanglots troublaient sa voix. Debout et au travail. Toute sa vie. A chacun ses rêves, et lui, c’est çà ! Cà lui met une petite étoile dans le regard, comme un enfant qui attend Noël. Je ne dis pas qu’il croit au Père Noël, Bertrand, mais que l’espoir nous donne toujours une petite lumière de plus. Allez ! Courage Bertrand, et continue à plaisanter, çà fait du bien !

 

 

 

 



14/03/2009
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