"520PF Plongée dans l'univers étrange de l'hospitalisation"

15 - La sortie de l'Hôpital

La sortie de l’Hôpital

 

Et puis un jour, enfin, çà y est ! Tu as pu négocier une sortie avec le médecin, et voilà : Tu vas quitter cette chambre, ce lit, dans lequel tu dors (mal) depuis sept semaines, et aussi ce dernier voisin finalement (très) pénible. Tu vas quitter, par la même occasion, les trois visites nocturnes du personnel soignant de nuit qui entre sans frapper, te faisant faire des bonds dans ton lit, de ce fait. Tu vas quitter le réveil à sept heures par le personnel soignant de jour avec toc, toc, bonjour, température, et pulsations…Tu vas quitter le petit déj’ du bas, au self, pain , beurre, café très moyen… Tu vas surtout quitter ces soirées longues de l’absence des êtres aimés, des programmes télé nuls, de l’endormissement qui tarde (quand tu ne veux plus des somnifères), de la présence (très) pénible d’étrangers restant dans la chambre, dans ta chambre ! Tu vas quitter l’espoir donné, puis brutalement repris des week-ends, de cette joie de retrouver « la vie calme, la vie douce, telle que je la voulais » comme disait Vassiliu. Et surtout le négatif de tout çà le dimanche soir à dix huit heures, quand on te reprend tout durement. Tu vas quitter les autres, ceux qui vont y rester, qui continueront à exister dans ce cadre, dans cette organisation, les patients et les professionnels. Les êtres humains, ceux-là te manqueront…Mais tu emporteras d’eux un geste ou un regard qui porte le signe d’une humanité. Celui, à travers lequel tu as existé, et que tu leur as rendu, dans un sourire ou un mot gentil…Beaucoup d’amour là dedans !

Tu n’en pas fini pour autant. Un hôpital peut en cacher un autre. Tu quittes l’ « Hôpital de jour et nuit », et tu arrives à « l’Hôpital de jour ». L’intérêt, le premier, est que le temps long, lent, long, qui me poursuit depuis plusieurs semaines, se résume ici aux heures de bureau. Avant et après, le côté nuit, est prévu pour se passer à la maison. Tu te rends compte ? Après deux mois où j’ai dormi dans des lits d’hôpital, je dors enfin à nouveau dans mon propre lit (propre) ! Je retrouve ma place à la maison. Oh ! Bien sûr, je ne trotte pas encore comme un lapin (mais les lapins trottent-ils vraiment ?), mais, au moins, je retrouve ma place dans la famille, ma position d’époux, de père, et çà…C’est énorme !

Pour effectuer le voyage entre mon domicile et l’hôpital de jour, j’ai droit à un transport en VSL. Ce n’est pas une Voiture Super Lente, mais un Véhicule Sanitaire Léger ! Une de ces voitures blanches avec une étoile bleue dessus. Remboursée par la sécu ! Le problème, c’est qu’au début, je ne trouve personne qui accepte de me transporter…Je crois que la (toute petite) distance entre mon domicile et l’hôpital est en cause…Alors, ma femme fait le chauffeur de son mari handicapé, le matin et le soir. Quel confort ! C’est en fait, très agréable, je me sens véritablement cocooné ! Je crois que j’en profite un peu, mais que veux-tu, il faut que je me rembourse de tout ce que je n’ai pas pu avoir…De toute manière, je trouverai bientôt un transporteur et ce sera fini, alors, tais-toi et laisse-moi en profiter !

Dans l’hôpital de jour, il y a un point central autour duquel les patients s’égayent toute la journée et dans toutes les directions pour s’y retrouver le midi après le repas, et le soir avant le départ. Un accueil existe où tu pointes le matin et le soir. Il y a une grande salle où sont rassemblés un grand nombre de fauteuils inclinables, type « Relax ». La première fois que j’ai vu ces alignements de fauteuils identiques, cela m’a rappelé la salle d’accueil des passagers sans cabine du ferry qui nous avait emmené en Corse. Cà y est ! Encore la mer, l’île…Sauf qu’ici, point de mer, point d’île (quoique…) et en tous cas point de bateau ou alors une galère… Dans les temps long, lent, long de la journée les patients s’installent ici. Certains lisent, d’autres cruciverbent, regardent la télé, jouent aux échecs, et d’autres encore dorment… J’ai vu l’autre jour deux jeunes hommes, fauteuil en position horizontale, et qui ont dormi là toute la matinée. Etrange rééducation ! Sinon, on parle… Chacun, comme cela se passe aussi dans la salle à manger, se raconte à l’autre. On compare un peu nos misères (quand elles sont comparables, sinon, on se tait pudiquement et on écoute !). C’est la norme de « L’Espérance » dans son ensemble, jour comme nuit… Le mélange des genres, des histoires, des pathologies. De l’hétérogène à l’hétéroclite ! Cette mixité des vécus est un peu le manteau d’Arlequin de Michel Serres quand il évoque une société bigarrée, cosmopolite. Avec la difficulté comme dénominateur commun qui nous rapproche. On se comprend. Parfois, on croise quelqu’un qui a les yeux bien rouges, mais c’est pas l’eau de la piscine qui fait couler ces yeux-là…Les larmes ne sont jamais bien loin, pour chacun…Mais chacun les traite à sa manière, ce qui fait que certains pleurent et d’autres pas. Pour beaucoup, la vie connaîtra désormais un avant, et un après qui sera bien différent. La donne de la vie ne sera plus la même pour un grand nombre de patients. Le travail qu’on a quitté ne pourra pas être repris, il va falloir changer de métier, d’orientation, parfois de vie toute entière. De nombreuses personnes garderont de leur maladie ou de leur accident des séquelles plus ou moins importantes qui vont déterminer leur (in) adaptation future. Ce constat est difficile à faire, c’est la question « est-ce que je vais remarcher ? » qui se pose à chacun, et à laquelle, on l’a vu, il est difficile de répondre d’une manière juste. Alors, en parler ensemble, entre initiés, peut permettre l’émergence d’un début de reconstruction… Le statut d’initié (défini par Erwin Goffman dans « Stigmates ou les usages sociaux du handicap » évoque un statut où chacun sait l’état de l’autre, et donc dans lequel on n’a plus à se cacher), le statut d’initié disais-je, est bien présent pour chacun de nous. Personne n’a, ici, à se cacher de quoi que ce soit…Et çà, c’est très rassurant. C’est le milieu « protégé », ici, on est en sécurité !

 

 

 

L’hôpital de jour, c’est aussi le fait de rentrer tous les jours à la maison. Seulement, dans l’état où tu es quand tu rentres, tu n’es pas en mesure de reprendre directement la place qui était la tienne. Au départ, c’est ce que tu crois, ce que tu imagines. Tu te revois chez toi, et tu te vois reprendre tes activités, ta place, comme avant… Seulement, ce n’est plus comme avant, ou pas encore redevenu comme avant (si tant est que cela soit possible !).  Tu es encore dans ce temps d’adaptation, durant lequel tu es encore handicapé, et dépendant pour pas mal de choses. Ta maison, ton habitation n’est pas adaptée pour l’accueil d’une personne en fauteuil roulant. L’espace n’est pas adapté à ta mobilité réduite, ou l’inverse, ta mobilité réduite n’est pas adaptée à la vie, à l’agencement de la  maison. Les tasses sont dans le placard du haut. Trop haut. Pour les atteindre, il faut mettre les freins du fauteuil, puis te lever, sur un pied (le droit !) ouvrir le placard avec ta main droite, saisir la tasse…Et refaire les gestes dans l’autre sens…Les toilettes ne t’acceptent pas avec ton fauteuil roulant : c’est lui ou toi ! Tu dois, ou le laisser dehors, ou accepter de laisser la porte ouverte… Impudeur garantie ! Mais tu veux pourtant te débrouiller seul, tu sais, l’autonomie, comme ils disent. Mais tu ne peux pas aller chercher le sel parce que la chaise, là, bloque le passage. Tu ne peux pas passer par là pour aller chercher une petite cuillère parce que la poubelle va t’empêcher de faire demi-tour… Que d’obstacles, que de limites ! Mais, au milieu de toutes ces gênes, tu n’auras pourtant que du bonheur, parce que tu seras à la maison. Et çà, finalement, c’est le plus important. Ah ! La maison !

 

 



12/03/2009
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